SUR LA RÉMUNÉRATION DES DEDICACES


Quand on parle de rémunération des dédicace, je tique toujours un peu. Et à chaque fois, on me caricature en espèce d'anti-auteur·trice, alors que, bon bah je vis de mes BD hein, c'est quand même une idée couillon de penser que je vais me tirer dans les deux jambes. Non, mais si je suis artiste, j'aime bien prendre un point de vue plus global qui ne comporte pas que ma petite personne donc, voici les trucs que j'entends le plus :



De quoi on parle quand on parle dédicace
Déjà, je trouve qu'il y a des strates. J'ai déjà vu des auteurs se plaindre de faire 2h de dédi par jour à Angougou… Bon, perso j'édite aussi, et je fais TOUTES les heures sur le stand (10-19h fois trois), et donc à entre autres dédicacer. C'est pas de la vanité, je m'en contretape vraiment le séant, mais de la relativité de toute chose svp. Bref, c'est pas pareil de faire quelques heures en gros festival et passer le reste à boire des canons, et se bouger un week-end à Charbouille-Les-Austères pour faire 4h dans une petite librairie de 2m² et se retaper 3h de train. Mais on va passer pour épurer le sujet, qui je le sens, va déjà être bien bien long.


Une partie voudrait que ce soit les lecteurs et lectrices qui paient.
Je suis contre. Genre vraiment. Personnellement et vu les chiffres du lectorat en BD, je pense pas être solo dans ce cas, mon public est surtout ado ou étudiant. Même s'il me serait difficile d'oublier ces années de galère financière, je vois de toute façon mes lecteur·ices en dédi, qui parfois galèrent déjà à payer un petit livres, alors que j'ai des fanzines à 5 euros.
C'est un peu le même principe que certains (je précise) crowdfundings. Encore une fois sur le principe ç'aurait pu être un outil génial, qui s'émancipe des schémas à 50 intermédiaires, mais j'ai parfois une certaine gêne à voir des livres à 20 balles rester à 20 balles même en retirant éditeur, distrib, diffuseur et compagnie. Bah pareil, j'ai vraiment pas envie de jarter de mon lectorat des gens précaires, tout simplement. Et les plus friqués peuvent toujours acheter des originaux (ce qui déjà est triste en soi, mais bon, on va pas retourner le système planétaire c'est pas le sujet).


Bon, bah alors le festival paie, non ?
Sur le principe, pourquoi pas. Mais on va pas se leurrer : vu que ça deviendra un investissement, bon déjà les petits festivals ne pourront pas suivre, et les gros n'inviteront que des auteurs « rentables » qui vendront. Pourquoi rémunérer le petit indé dans son coin quand vous pouvez avoir Zep qui rameutera trente fois plus de public ? Eh ben pardon mon Zepou, mais que tu gagnes un peu plus d'argent m'indiffère totalement (et je dis Zep, je pourrais citer d'autres)… Et pour moi c'est philosophiquement un des gros problèmes, c'est qu'il ne faut pas confondre militer pour un « meilleur confort de vie » et certain·e·s qui n'ont juste aucun confort du tout. Et c'est peut-être mon côté Marx et ça repart, mais j'ai tendance à vouloir rehausser les classes les plus basses en priorité.
Donc voilà, c'est pas un « non » farouche, c'est juste une crainte d'un truc qui me semble clairement dans le package qu'on nous vend.



Et l'éditeur ? Il s'en met plein le cul l'éditeur non ?
Encore une fois, je trouve que, parfois, il y a une certaine malhonnêteté dans la critique quasi systémique des éditeurs. Alors oui hein, y'a des bons gros cons, ça, ok. Maintenant c'est normal, je pense, qu'une BD à succès qui s'écoulera à 100.000 exemplaires soit pas payée la même chose qu'un indé qui distribue à 5000, et du coup n'a pas les mêmes retours, ni mêmes marges usinaires de production, pour parler chiant. Donc clairement, Glénat (même s'il râle), Dupuis ou Casterman auront les moyens de payer, et les petites structures non. On est toujours sur le même problème.

Au passage, on va pas se mentir, je connais des artistes qui « bâclent » des livres quand la paye est petite. Et pour moi c'est un mépris IMMENSE du public. Tu refuses juste le contrat, mec. Et c'est pas un truc rare, j'ai au moins trois personnes en tête rien que pour le 2/3 ans passés. Je COMPRENDS qu'on veuille tous et toutes en vivre, mais acceptez pas des trucs que vous jugez sales, si c'est pour critiquer après en boucle. Mais ça veut pas dire que l'éditeur ne doit pas bien payer ses auteurs et autrices. Et j'y reviens dans la question :



Mais du coup quoi, on peut rien faire ?
En fait si, y'aurait plein de choses à faire, du genre un plus gros pourcentage pour les auteurs sur les ventes en salon (ça serait même logique vu qu'on fait quasi le boulot de distrib), mais pour moi la dédicace est juste un torchon qui brûle dans une maison incendiée. L'argent existe, la BD ça se vend, il faudrait que les éditeurs cèdent une partie de leur pourcentage, MAIS que ce soit un genre d'effort collectif, où tout le monde (point de vente, diffuseur, distrib) baisserait un chouilla sa marge, minimisant comme ça la perte de chacun. Et c'est même la que j'ai un côté plus vénère que ceux et celles que je critique, c'est qu'on milite pour 10% comme droits d'auteur, mais je place la limite de la décence à 25%. Même dans l'art contemporain et les galeries, qui sont des milieux de flûtain de requins de ouf, l'artiste touche 50% de son travail (!) en général. Même si ça fait pas appel aux mêmes règles.

Donc non, je suis pas « anti-artiste » (sans dec?), je trouve juste que ça ne se fait pas à n'importe quel prix, et je veux pas que :
1) ce soit toujours les mêmes qui touchent du blé et les mêmes qu'on entende
2) que ce soit toujours les mêmes, le public, qui doivent raquer un peu plus à chaque fois.
3) D'une BD qui devient un truc unifié comme la musique, où tu dois gratter les fin-fonds du net pour trouver autre chose que de la soupe. Car oui, la masse aime la soupe, c'est pas une critique en soi, c'est comme ça.

Bon, on peut ne pas être d'accord, mais on est quand même loin de la « salope autoritaire » ou du « tyran » qu'on me prête non ? (oui on m'a vraiment dit ça)



Bonus ?
Pour moi, une des bonnes solutions serait un investissement de l'État sous forme de statut, comme les intermittents (en mieux branlé, tant qu'à faire). Les dessinateurs auront un genre de revenu « en plus » pour leur travail quand l'éditeur est petit, un peu comme la prime à l'emploi qu'on peut demander pour le reste des jobs, quand celui-ci est trop peu rémunéré. Et les gros vendeurs qui touchent du pèze l'auront pas, mais ils continueront à faire des gros chiffres et avoir des gros contrats salés, et du coup on verrait qui milite bien pour la cause artistique et qui pour sa tronche, donc tout le monde serait content ? Non ? Je sais pas.

Je vous embrasse.
S.